Le P'tit Feuilleton n°1 - L'épicerie de mon enfance
C’était en 1950, j’habitais la montagne en Haute Savoie, la route s’arrêtait dans la cour de la ferme, ensuite il y avait des sentiers. C’était une épicerie ambulante, elle passait une fois par semaine, si les routes étaient déneigées. Le camion de M. ALBERT Épicier, blouse bleue et béret noir s’arrêtait dans tous les villages et en rapportait les nouvelles du pays.
Il arrivait en fin d’après-midi, le camion s’ouvrait sur un flanc, une partie faisait comptoir et l’autre auvent. L’autre côté portait l’enseigne de l’épicerie.
Les parois étaient tapissées d’affichettes (cirque, bal, kermesse, publicités) et l’intérieur était aménagé de casiers grands et petits.
Celui de l’épicerie proposait : farine, fécule, maïzena, Blédine, sucre en morceaux ou en poudre, sucre glace, du café, de la chicorée LEROUX, des pâtes en tout genre et de la polenta, ma tante en faisait des galettes ou la cuisait avec des oignons revenus dans du saindoux, elle y ajoutait de la Tome faite dans les alpages l’été, on la mangeait avec du civet de lapin, Hum…
Il proposait également des lentilles qu’il fallait trier car il y avait des cailloux, on faisait cela le soir à la veillée sous la lampe à pétrole.
Mais aussi du chocolat à cuire, chocolat au lait, chocolat aux noisettes, des boîtes de poudre pour réaliser des entremets (FrancOrusse) vanille, chocolat et autres parfums mais également du chocolat en poudre (Banania). Pour les confitures, ma tante les faisait maison, elle mettait aussi des fruits en conserve, cerises, prunes, poires dans des bouteilles champenoises entourées de gros torchons en toile qu’elle faisait stériliser dans une grosse marmite.
Dans le casier des conserves : étaient alignées des boites de légumes, des filets de maquereaux au vin blanc, pilchards à la tomate, thon nature et à l’huile, sardines, concentré de tomate, une grande variété de pâtés et du Corned-beef.
Pour l’assaisonnement, huile, vinaigre d’alcool, vinaigre blanc, gros sel, sel fin, moutarde en pot et en verre décoré avec le thème les fables de la Fontaine, du poivre en grains et moulu, des clous de girofle, des bouillons Maggi, poule au pot et l’original KUB OR.
Sur le comptoir à côté de la balance semi-automatique, il y avait une planche en bois sur laquelle reposait une grosse motte de beurre avec son fil pour en découper des morceaux, une voilette en mousseline blanche la recouvrait pour la protéger des mouches.
Les fromages : tomes, reblochons, camemberts, gruyère, boites de vache qui rit, boites de lait gloria, de lait Nestlé sucré et de crème entière complétaient le rayon crémerie.
Dans la partie liquide on trouvait des apéritifs (Pernod, Martini, Quinquina, Dubonnet, Suze, du vin rouge, rosé ou blanc au litre), il fallait rapporter les consignes, la limonade et la bière étaient en cannettes (bouteilles bouchées avec un cône de porcelaine garni d’un caoutchouc et fixé par un ressort à levier (elles étaient aussi consignées).
Le casier entretien proposait : de la lessive Saponite ou OMO, des cristaux de soude, de l’eau de javel, du grésil, des savons de Marseille, serpillières, lavettes, pétrole pour les lampes, bougies et allumettes.
Au sol de grands paniers en osier offraient des légumes : pommes de terre, carottes, navets, choux, poireaux, oignons, une balance Roberval à plateaux avec des poids en fonte était prête pour la pesée des choses lourdes.
Au plafond : des tresses d’ails, d’échalottes se balançaient lentement. Deux plumeaux en plumes d’autruche grises, des balais en paille de riz, des brosses de chiendent, des goupillons en crin noir pour laver les bouteilles et les biberons pendaient sur un gros crochet fixé sur une tringle du plafond.
La charcuterie suspendue à des crochets embaumait le camion, de gros jambons crus, des saucisses, du lard, le tout fumé et vendu au poids. Sur le comptoir à côté de la caisse, il y avait un présentoir de sucettes Pierrot Gourmand, des bonbons des sucres d’orge et un gros bocal avec de grosses billes de couleurs vives.
L’épicier calculait la note sur un petit carnet, il la donnait à ma tante qui réglait en espèces, il lui donnait aussi des vignettes en fonction du montant de l’addition, en fin d’année elle recevait en échange du nombre de vignettes un cadeau en céramique (pot à eau, corbeille à fruits, compotier, vase, etc…). Et moi j’avais le droit à une boule du bocal, c’était un chewing-gum, le premier de ma vie.
Au mois de février, mon oncle tuait deux cochons, c’est lui qui découpait la viande, il en mettait une partie au saloir, les jambons, saucisses, lard étaient mis à fumer pendant un mois, il fallait bien entretenir la chaleur en brulant des branches de sapins et de genévriers jour et nuit, il ne fallait pas de flammes. Ma tante réalisait du pâté, des rillettes. Avec les résidus de viande et de graisse, elle faisait des rillons, la viande bien grillée accompagnait des fricassées de pomme de terre, un délice.
La graisse, le saindoux était mis dans des grandes jarres en grès, elle se conservait jusqu’à la saison suivante. Les abats étaient mangés dans la semaine ainsi que le boudin aux oignons, pommes et châtaignes. Le mois de février était celui où nous mangions le plus de viande.
On rentrait les pommes de terre, les poireaux, les navets et les choux à la cave. Les carottes étaient mises dans une grande cuve avec de la sciure de bois pour les conserver.
Des choux étaient hachés et mis au sel afin de réaliser des choucroutes.
Dans des cagettes en bois garnies de petit foin on conservait des pommes et des poires jusqu’au printemps.
Le cidre avait été pressé et mis en tonneaux, dans l’un d’eux on mettait un produit pour qu’il ne fermente pas et reste jus de pommes.
Toutes ces petites fermes ont disparu, ce sont les suisses qui les ont achetées pour en faire des résidences secondaires ! J’ai eu la chance de connaitre ce mode de vie simple et proche de la nature.
Jacqueline Monnier